Quelles peines pour un accident mortel ?
1. Le débat sur la création d'un délit d'homicide routier
Le projet de Loi de requalifier l’homicide involontaire routier en homicide routier n’a pas encore été définitivement voté.
L’homicide routier aurait pour vocation à qualifier les décès causés dans le cadre d’accidents de la route lorsque l’auteur était sous l’empire d’un état alcoolique ou avait consommé des stupéfiants.
L’idée est de considérer que l’auteur de l’accident mortel a eu la volonté délibérée antérieure à l’accident de consommer de l’alcool ou des stupéfiants, en sachant que cela va l’amener à réaliser une faute dans sa conduite car il n’est pas en condition de maîtriser son véhicule du faut de son état, et que cela causera la mort d’autrui. Ainsi, il aurait de manière délibérée l’intention de causer un accident mortel en consommant de l’alcool ou des stupéfiants.
On considère que la qualification d’homicide involontaire n’est pas adaptée car l’homicide est causé par des actes délibérés de son auteur et dangereux pour autrui.
La notion de faute délibérée s’appliquerait également aux infractions actuellement qualifiées de « blessures involontaires » et qui seraient des « blessures routières« :
Violation délibérée du code de la Route (excès de vitesse, franchissement d’une ligne continue, non respect de l’arrêt imposé par un feu rouge, etc.)
Conduite en état d’ivresse manifeste et refus de se soumettre à un contrôle d’alcoolémie
Consommation de stupéfiants
Refus de se soumettre aux contrôles stupéfiants
Consommation volontaire de substances psychoactives de façon détournée ou manifestement excessive (protoxyde d’azote ou surconsommation de médicaments)
Conduite sans permis de conduire
Excès de vitesse de 30 km/h ou plus
Délit de fuite
Omission de porter secours
Usage de téléphone ou d’oreillettes
Refus d’obtempérer
Participation à un rodéo urbains
En revanche la proposition de Loi ne prévoit pas d’aggravation des peines.
Les peines complémentaires seraient modifiées, avec une annulation obligatoire du permis de conduire du conducteur, car il paraissait incohérent de donner la possibilité au Tribunal de suspendre le permis de conduire pour une durée de 5 ans au plus.
Ces modifications posent deux problèmes :
La violation d’une règle du Code de la Route n’est pas nécessairement délibérée et il sera difficile de démontrer l’intention de causer la mort
Toute violation d’une règle du Code de la Route ne devrait pas faire partie du champs du délit de l’homicide routier.
Exemple :
Vous franchissez un STOP avec marquage au sol sur une route perpendiculaire à une route départementale, après vous être arrêté 1 seconde, et vous êtes percuté par un véhicule dont le conducteur meurt. Si l’expertise conclut que vous n’avez pas marqué l’arrêt suffisamment longtemps : vous êtes responsable d’un homicide routier volontaire ?
Il convient que la règle du code de la Route ou l’obligation de prudence ou de sécurité qui était évidente et qui pourtant a été violée, est d’ores et déjà prise en compte dans les textes actuels de répression et constitue une circonstance aggravante : c’est la faute « caractérisée ».
La nouvelle infraction créée risque d’être difficile à caractériser en tous ses éléments
L’intention mortelle de la personne qui a consommé de l’alcool ou des stupéfiants risque d’être difficile à démontrer et donc d’entrer en voie de condamnation.
Si le consommateur de stupéfiants ou d’alcool savait que cela pouvait représenter un risque, avait-il la volonté de tuer un tiers en consommant ?
Le risque est donc que l’infraction ne soit pas constituée dans ses éléments juridiques et d’ouvrir la voie à la relaxe du prévenu.
La proposition de Loi a été examinée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 17 octobre 2023, puis a été votée en première lecture par le Sénat le 27 mars 2024, et devait passer en 2ème lecture devant l’Assemblée Nationale.
2. L'homicide involontaire suite à un accident de la route
Les dispositions des articles 221-6-1 et 221-8 du Code Pénal restent pour le moment inchangées.
Les peines principales et complémentaires actuelles sont très importantes.
« Lorsque la maladresse, l’imprudence, l’inattention, la négligence ou le manquement à une obligation législative ou réglementaire de prudence ou de sécurité prévu par l’article 221-6 est commis par le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur, l’homicide involontaire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 euros d’amende lorsque :
1° Le conducteur a commis une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement autre que celles mentionnées ci-après ;
2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste ou était sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique ;
3° Il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que le conducteur avait fait usage de substances ou de plantes classées comme stupéfiants, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par le code de la route destinées à établir s’il conduisait en ayant fait usage de stupéfiants ;
4° Le conducteur n’était pas titulaire du permis de conduire exigé par la loi ou le règlement ou son permis avait été annulé, invalidé, suspendu ou retenu ;
5° Le conducteur a commis un dépassement de la vitesse maximale autorisée égal ou supérieur à 50 km/h ;
6° Le conducteur, sachant qu’il vient de causer ou d’occasionner un accident, ne s’est pas arrêté et a tenté ainsi d’échapper à la responsabilité pénale ou civile qu’il peut encourir.
Les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’homicide involontaire a été commis avec deux ou plus des circonstances mentionnées aux 1° et suivants du présent article. »
En cas de décès d’une ou plusieurs victimes, les peines maximums sont :
5 ans d’emprisonnement
75 000 euros d’amende
Les peines complémentaires sont prévues à l’article 221-8 du Code Pénal :
Suspension du permis de conduire pour une durée maximum de 5 ans
Annulation du permis de conduire avec interdiction d’en solliciter un nouveau pendant 5 ans maximum
Interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un EAD pendant 5 ans au plus
Interdiction de conduire un véhicule terrestre à moteur pendant 5 ans maximum
Immobilisation du véhicule qui a servi à commettre l’infraction pendant 1 an maximum
Confiscation du véhicule ayant servi à commettre l’infraction, si le conducteur en est le propriétaire
Si, en plus du décès d’une ou plusieurs victimes, il y a une circonstance aggravante comme un délit de fuite, une conduite sous l’empire d’un état alcoolique, excès de vitesse de plus de 50 km/h ou refus de se soumettre aux vérifications stupéfiants ou alcool, sans être titulaire d’un permis de conduire valide ou par « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », les peines sont plus lourdes :
7 ans d’emprisonnement
100 000 euros d’amende
Les peines complémentaires possibles prévues par l’article 221-8 du Code Pénal, sont notamment :
Confiscation OBLIGATOIRE du véhicule ayant servi à commettre l’infraction si le conducteur en est le propriétaire
Interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un EAD pendant 5 ans au plus
Annulation OBLIGATOIRE du permis de conduire avec interdiction d’en solliciter un nouveau pendant 10 ans maximum
Si, en plus du décès d’une ou plusieurs victimes, il y a deux ou plusieurs circonstance aggravantes comme un délit de fuite, une conduite sous l’empire d’un état alcoolique, excès de vitesse de plus de 50 km/h ou refus de se soumettre aux vérifications stupéfiants ou alcool, sans être titulaire d’un permis de conduire valide ou par « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », les peines sont encore plus lourdes :
10 ans d’emprisonnement
150 000 euros d’amende
Les peines complémentaires possibles prévues par l’article 221-8 du Code Pénal, sont notamment :
Confiscation OBLIGATOIRE du véhicule ayant servi à commettre l’infraction si le conducteur en est le propriétaire
Interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un EAD pendant 5 ans au plus
Annulation OBLIGATOIRE du permis de conduire avec interdiction d’en solliciter un nouveau pendant 10 ans maximum
3. Quelle procédure pour un homicide involontaire ?
Deux cadres de procédures existent pour un homicide involontaire :
L'enquête préliminaire
Il s’agit d’une enquête sous la Direction du Procureur de la République du Tribunal Judiciaire du ressort du lieu de l’infraction.
Il va donner des ordres d’actes d’enquête à la police ou la gendarmerie : géolocalisation du téléphone, expertise des véhicules accidentés, autopsie de la victime, audition des témoins…
Il fera auditionner le mis en cause par la police ou la gendarmerie dans le cadre d’une audition libre ou d’un placement en garde à vue.
Lorsque le Procureur de la République considère qu’il est important que le mis en cause soit placé en détention provisoire pendant le temps de l’enquête, à l’issue de la date à vue, il saisira le Juge des Libertés et de la Détention, qui décidera :
- soit du placement sous contrôle judiciaire : liberté avec des conditions : caution financière, placement sous surveillance électronique, pointage au commissariat ou gendarmerie, domiciliation dans un autre département, interdiction d’entrer en contact avec les victimes, interdiction de conduire tout véhicule terrestre à moteur, interdiction de fréquenter un débiter de boisson.
- Soit du placement en détention provisoire en Maison d’Arrêt.
Il est intéressant de noter que la Loi permet, en cas de demande par la Défense, d’hospitaliser le mis en cause dans un établissement hospitalier, s’il démontre que ce dernier est prêt à l’accueillir immédiatement après l’audience.
L’audience du Juge des Libertés et de la Détention est une audience à Huis Clos.
L'instruction
Dans ce cas, un Juge d’Instruction du Tribunal Judiciaire du lieu de l’infraction est désigné.
Il va convoquer le mis en cause, à l’issue de la garde à vue, pour un interrogatoire de première comparution.
À l’issue de cet interrogatoire, il va décider de mettre en examen ou pas le mis en cause pour une ou plusieurs infractions.
Puis, s’il envisage le placement en détention provisoire de la personne mise en examen, il va saisir le Juge des Libertés et de la Détention.
Il est à noter que si le juge d’instruction ne décide pas de saisir le Juge des Libertés et de la Détention pour envisager le placement en détention provisoire, le Procureur de la République peut décider de le saisir.
Là encore, une fois que le juge des libertés et de la Détention est saisi, il peut :
- placer le mis en examen sous contrôle judiciaire avec des obligations ou interdictions
- placer le mis en examen en détention provisoire.
À noter que la Comparution Immédiate n’est pas le cadre d’audience adapté aux affaires de blessures involontaires ou d’homicides routiers.
- D’une part, ce type d’affaire nécessitent des actes d’enquête qui ne peuvent être accomplis dans un temps court.
- D’autre part, la victime ou les victimes ne seront pas consolidées dans leurs préjudices dans le temps court dans lequel a lieu l’audience de Comparution immédiate.
Et, même dans l’hypothèse où on jugerait l’aspect indemnisation de manière séparée à l’audience de Comparution Immédiate, la victime devra être représentée à l’audience par un Avocat afin de se constituer partie civile, et s’assurer que l’assurance du véhicule conduit par le mis en cause a été mise en cause d’intervenir à l’audience, afin de s’assurer qu’elle constituera un deuxième débiteur du règlement des dommages et intérêts de la ou des victimes.
4. Le retrait de 6 points
Selon l’article L. 232-3 du Code de la Route, pour tous les délits précités, le retrait est de 6 points sur le capital points du permis de conduire, quelque soit la ou les peines prononcées, et si le permis de conduire n’est évidemment pas annulé par le Tribunal.
Il convient de dire que pour un homicide involontaire réalisé en même temps qu’un autre délit routier (refus d’obtempérer, conduite après usage de stupéfiants ou conduite sous l’empire d’un état alcoolique, conduite malgré la suspension du permis de conduire, refus de se soumettre aux vérifications), les Tribunaux ont pour jurisprudence d’annuler le permis de conduire.